Le deuxième veto du général de Gaulle
Le deuxième veto du général de Gaulle
Le 29 septembre 1967, la Commission des Communautés européennes publie son avis sur la demande d’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège dans lequel elle propose d’ouvrir immédiatement les négociations d’adhésion avec les pays candidats. Malgré cet avis, les partenaires de la France, favorables au premier élargissement des Communautés, continuent à se heurter à l’opposition du général de Gaulle. Le président français avance les difficultés économiques que connaît le Royaume-Uni et exige qu’une solution aux problèmes majeurs soit trouvée avant son adhésion aux Communautés. Contrairement aux Cinq, Paris est persuadé que l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, même sous condition d’accepter les conditions des traités, change fondamentalement la nature de la Communauté qui évoluerait vers une grande zone de libre-échange.
En dehors des arguments économiques avancés pour bloquer l’adhésion du Royaume-Uni, les préoccupations du président français sont d’une autre nature. En effet, contrairement aux engagements pris dans le domaine économique, le Premier ministre britannique ne se rallie pas aux conceptions françaises en matière de politique étrangère et de défense. Harold Wilson continue à préconiser la nécessité de l’engagement des États-Unis dans la défense de l’Europe et rejette la création d’une force nucléaire européenne. Le président français craint alors que dans une Communauté élargie, la France ne risque pas seulement de rencontrer plus de difficultés à défendre ses intérêts économiques, mais également de perdre son leadership au profit d’une orientation plus atlantiste avec l’arrivée des nouveaux membres.
Le 18 novembre, le gouvernement britannique est contraint de dévaluer la livre sterling. La réaction du président français ne se fait pas attendre. Pour lui, il s’agit de la preuve que l’économie britannique n’est pas prête pour remplir les conditions du Marché commun. Le 27 novembre 1967, avant même que des négociations d’adhésion avec les pays candidats aient pu commencer, le général de Gaulle s’oppose dans une conférence de presse une deuxième fois à l’entrée du Royaume-Uni aux Communautés européennes. Dans sa déclaration, le président français insiste surtout sur l’incompatibilité de l’économie britannique avec les règles communautaires et souligne qu’une adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes exige d’abord de la part de celui-ci une transformation radicale d’un point de vue politique et économique. Il réitère sa proposition d’une association entre la Communauté économique européenne et les pays candidats pour favoriser les échanges commerciaux, mais Londres rejette aussitôt l’association qui l’exclurait du processus décisionnel de la Communauté.
Les partenaires de la France ne sont pourtant pas prêts à accepter cette décision unilatérale. Ils essaient alors de trouver des solutions alternatives pour sortir de l’impasse et pour maintenir la perspective d’adhésion aux pays candidats. Mais toutes les propositions se heurtent à l’opposition du général de Gaulle qui va même jusqu’à menacer de quitter la Communauté dans le cas d’une adhésion britannique, s’isolant ainsi de plus en plus de ses partenaires. La divergence entre la France et ses partenaires sur la candidature britannique se répercute ainsi sur l’activité des Communautés. En effet, il est devenu indispensable qu’une solution à la question britannique soit trouvée afin de débloquer la situation et de poursuivre le développement des Communautés. La méfiance des Cinq envers la politique européenne de la France s’accroît, quand, en février 1969, le président français propose à l’ambassadeur britannique à Paris, Christopher Soames, de faire entrer le Royaume-Uni dans une grande zone de libre-échange européenne qui remplacerait les structures communautaires. Le Premier ministre britannique Harold Wilson non seulement rejette la proposition française, mais révèle la teneur de la proposition aux Cinq, ce qui contribue davantage à l’isolement de la France. Il faudra attendre le retrait de Charles de Gaulle trois mois plus tard du poste de président de la République française pour pouvoir relancer les négociations.